Quand le travail use le cœur. Réflexion sur le bien-être en milieu éducatif
- 21 oct.
- 7 min de lecture

Il y a des jours où je me sens vide, sans trop savoir pourquoi. Pas triste, pas fâchée, juste… vidée. Comme si ma tête bourdonnait d’un bruit de fond constant celui des urgences, des demandes, des émotions des autres que je porte sans m’en rendre compte. Et je me dis : « Si moi, après toutes ces années à prôner le bien-être, j’en arrive là… qu’en est-il des autres ? »
Je crois qu’on sous-estime encore la fatigue invisible qui habite nos milieux éducatifs. Pas celle qu’on soigne avec un week-end de repos. Celle qui s’installe doucement, sans bruit, pendant qu’on continue d’avancer et qui devient sournois de jour comme de nuit.
Oui, on en parle davantage aujourd’hui. Mais concrètement, que fait-on pour y remédier? Avec le temps, j’ai parfois l’impression que nous avons appris à nous y conformer plutôt qu’à la prendre réellement au sérieux. Comme si s’adapter à l’épuisement était devenu une compétence tacite du métier.
Et si la faute s'appelait "irritants silencieux" ?
Dans nos milieux, on parle beaucoup d’épuisement professionnel, de surcharge, de reconnaissance. Mais on parle peu des irritants silencieux. Ces petites choses du quotidien qui, individuellement, semblent anodines, mais qui, accumulées, deviennent un poison doux.
Le regard non rendu le matin.
Le merci oublié.
La réunion qui tourne en rond.
Le collègue qu’on évite.
La tâche qu’on refait parce qu’on veut bien faire.
Le soupir qu’on ravale.
Le sentiment d’être toujours celle qui donne, mais qu’on écoute rarement.
Le manque de reconnaissance.
Le traitement par numéro d'employé-e.
Les comparaisons qui nous font perdre notre sentiment de compétence.
Et combien d'autres....
Ce sont ces micro-frustrations, ces mini-injustices, ces attentes non dites qui épuisent plus que les grandes crises. Parce qu’elles s’empilent en silence. Et le pire !!! On finit par s’y habituer. Quel horreur !
On devient irritable, impatient, détaché même, sans comprendre que le corps, lui, parle pour nous. Un mal de tête. Un cœur qui bat trop vite. Une boule dans la gorge qu’on appelle « juste un stress passager ». Une nausée du matin, un envie de crier toutes ses tripes.
J’ai longtemps cru que c’était normal. Qu’en travaillant dans un milieu humain, on devait accepter d’être affecté. Mais non. Ce n’est pas normal d’être vidé par ce qui devrait nous nourrir.
Le réflexe d’abandon
Aujourd’hui, on voit un phénomène grandissant : la fuite déguisée en choix. On quitte un emploi, une équipe, un milieu, parfois même une vocation et pire encore, nos valeurs. On se dit : « J’en ai assez, je mérite mieux ». Et c’est vrai. Mais trop souvent, ce départ n’est pas un acte de courage, c’est une tentative d’échapper à soi-même.
On part avant d’avoir pris le temps de comprendre ce qui nous fatigue vraiment. On fuit les émotions inconfortables plutôt que d’y plonger pour apprendre à mieux se protéger. On cherche un ailleurs plus doux, alors que la douceur se cultive d’abord à l’intérieur.
Changer de lieu ne suffit pas si on traîne le même état d’esprit dans nos bagages. Le bien-être ne s’achète pas. Il se construit, il se peaufine. Et pour le construire, il faut oser se regarder en face, pas seulement comme victime, mais parfois aussi comme auteur de malaises. Comprenez-moi ! Pas dans le sens que nous les provoquons, mais dans le sens de faire des choix qui ne sont pas adaptés pour nous, de ne pas prendre de moyens concrets et surtout, s'exclure de la solution.
Nous avons la fâcheuse ambition de vouloir trouver le bonheur , ici, ailleurs, partout. Mais le bonheur n’est que passager. Il arrive pour mettre un baume sur notre vie.Il n’a ni garantie, ni le désir de stagner. C’est pourquoi il faut mettre son énergie à cultiver son bien-être, car lui, souhaite rester… et nous nourrir.
Quand on devient soi-même un irritant
C’est difficile à admettre, mais il faut le dire : on a tous, à un moment ou à un autre, participé au climat qu’on déplore.
Par un mot mal placé.
Un ton sec.
Un jugement silencieux.
Une fermeture devant une idée nouvelle.
Un manque de patience envers une collègue qui vit exactement ce qu’on a vécu l’an dernier.
Et souvent, ce n’est pas de la mauvaise volonté. C’est de la fatigue humaine. Quand on est épuisé, on perd la nuance, la tolérance et tristement, la bienveillance. On fini alors par devenir ce qu’on reproche aux autres.
Reconnaître qu’on peut être l’irritant de quelqu’un d’autre, ce n’est pas se blâmer. C’est une preuve de conscience. C’est dire : « Moi aussi, j’ai mes limites. Moi aussi, je me perds parfois. » Difficile à lire, n'est-ce pas ? Je sais, moi aussi lorsque j'en prends conscience, je me "claque" en plein visage. Cependant, maudit que ça me fait du bien. L'autocritique, autoobservation, l'autofeedback ou appelez cela comme vous voulez, c'est la clé no. 1 de la construction.
« La paix ne se trouve pas là où il n’y a plus de bruit, mais là où l’on sait rester calme au milieu du bruit. »
Dans un milieu éducatif, le silence extérieur est rare. Mais le silence intérieur, lui, peut se cultiver.

Le retour vers soi
Il m'arrive aussi de traverser des périodes d’irritabilité. Ces moments où tout m’agace : le bruit, les gens, les imprévus, les demandes, la surcharge. Dans ces moments, je sens ma compassion s’amenuiser, comme si ma source intérieure se tarissait peu à peu. C'est alors, que j'entre dans une zone tellement inconfortable et contraire à moi-même, Cette zone étrangère à qui je suis. Alors, plutôt que de m’y perdre, je me suis dotée d'outils bourrés de créativité, de maîtrise de soi et de pleine conscience pour finalement, n'en faire qu'un passage et non un état.
Toutefois, cela ne se fait pas en criant "haut les mains". J’ai appris à repérer les signes. Quand je deviens irritable, je sais que ce n’est pas le monde qui a changé, c’est mon état intérieur qui réclame une pause. Alors je me ramène à mes ressources internes :le silence, la marche, l’écriture, la respiration consciente. Je réapprends à écouter sans absorber. À dire non sans me justifier. À me rappeler que je ne suis pas responsable de tout ce qui se passe autour de moi. Ce n’est pas de l’égoïsme. C’est de la survie émotionnelle. Et paradoxalement, c’est ce qui me permet de continuer à donner sans me vider et surtout d'y trouver un sens.
« On ne peut pas verser d’une cruche vide. »
Cette phrase, je la répète souvent. Parce qu’on oublie que la générosité, sans ancrage intérieur, devient le vide émotionnelle.
Des pistes concrètes
Parler de bien-être au travail, ce n’est pas faire du développement personnel à la mode. C’est reconnaître que le climat d’un milieu dépend autant des structures que des comportements humains.
Voici quelques pistes simples, mais puissantes :
Nommer ce qui pèse.
Les irritants non nommés deviennent des rancunes. Dire les choses avec respect, c’est déjà réparer.
Valoriser le réel plutôt que le parfait.
L’équipe idéale n’existe pas. Parce que le parfait se retrouve dans l'imparfait. Mais une équipe qui ose se dire les vraies choses sans se juger, oui.
Redonner du sens aux pause.
Une pause, ce n’est pas une perte de temps. C’est un acte de protection collective.
Revenir à la mission.
Quand tout semble lourd, rappeler pourquoi on est là : pour les enfants. Pas pour performer, mais pour accompagner et faire du mieux que l'on peut.
Encourager la responsabilité partagée.
Le climat de travail ne dépend pas que de la direction ni du personnel. Il se construit entre les deux, par des gestes simples et répétés.
Apprendre à s’arrêter avant de casser.
Reconnaître la fatigue, c’est une force. L’ignorer, c’est nourrir la rupture.
Et si on faisait autrement?
Je rêve d’un milieu éducatif où on prendrait soin des adultes avec la même délicatesse qu’on offre aux enfants. Où l’on apprendrait à s’écouter sans se juger, à dire « j’ai besoin d’aide » sans honte et surtout que cette demande soit accueillie. À célébrer les petites victoires sans attendre la perfection. Mais ce rêve ne se réalisera pas avec des slogans ou des campagnes de reconnaissance. Il commencera quand chacun acceptera de regarder sa part, de fatigue, de dureté, d’impatience, et d’en faire quelque chose de conscient.
Le bien-être collectif ne naît pas d’un projet imaginé ni d’une vision idéalisée du « milieu parfait ». Il prend forme sur le terrain, au contact du réel , celui que vivent chaque jour les éducatrices et éducateurs. Ce n'est pas de trouver des coupables, c'est seulement de ne pas oublier cette réalité concrète : les bruits, les imprévus, les émotions, la fatigue, l'effort de l'équipe malgré tous les irritants. Bref, le possible dans l'impossible !
Le bien-être durable ne s’impose pas d’en haut. ; il se construit à partir de la base par une multitude de petits choix individuels, faits avec lucidité, bienveillance et courage.
Je ne suis pas à l’abri
Je ne vous écris pas d’un endroit de certitude. Je vous écris d’un lieu humain, où je me bats moi aussi contre l’usure, l’agacement et les illusions. Je trébuche encore. Souvent. Mais j’ai compris une chose : le bien-être n’est pas un état, c’est une pratique. Chaque jour, j’essaie de revenir à l’essentiel :Respirer avant de réagir. Observer avant de juger. S’ancrer avant d’aider.
Je me rappelle que je ne peux pas sauver un milieu… mais que je peux influencer l’énergie que j’y apporte. Et c’est déjà beaucoup. Et oui, il m'arrive de sombrer, d'éclater, de dire tout haut ce qui devrait être gardé tout bas. Mais, c'est CORRECT ! L'important est en prendre conscience et de se ramener dans une position de leadership sécurisant et authentique.
Pour conclure, le bien-être en milieu éducatif, ce n’est pas un luxe à offrir quand tout va bien. C’est la base d’un système qui veut durer. Parce qu’on ne construit rien de solide sur de la fatigue, ni de beau sur du ressentiment.
Alors, avant de pointer du doigt, avant de fuir, avant de s’épuiser encore, prenons le temps de nous demander :Qu’est-ce que je peux ajuster, en moi, dès aujourd’hui, pour aller un peu mieux demain ?
« Prendre soin de soi, ce n’est pas se retirer du monde, c’est mieux y revenir. »
Et c’est exactement ce que le bien-être en milieu de travail devrait permettre : revenir, avec présence, lucidité et envie.
Sandra Mathieu
V.I.P De L'Éducation




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