Le brouillard de novembre... en éducation
- 2 nov.
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Il y a des matins où même le café semble fatigué, ou du moins, un peu plus amer. Le soleil se lève en retard, la pluie hésite entre bruine et soupir. Les manteaux s’empilent : parfois trop minces pour la saison, parfois oubliés à la maison, d’autres sans fermeture ou déjà trop petits… nous rappelant que l’été n’a pas fait pousser que les fleurs, mais aussi nos petits cœurs. Et pendant qu’on tente de jongler avec le défilé des mitaines perdues et des bottes pas encore sèches, nous voilà à gérer tout ce petit monde avant même le premier sourire du jour.
Bref, c’est novembre. Ce mois un peu gris, un peu chaotiquel, où tout le monde avance en pilote automatique. On sort à peine des citrouilles et des déguisements qu’on voit déjà des guirlandes dans les vitrines et les lutins prêts à se mettre à l'action. Entre la fatigue accumulée et les flocons qui n’arrivent pas encore, c’est une drôle de saison pour les éducatrices et les éducateurs. Le brouillard, ce n’est pas juste dehors. Il s’invite aussi dans nos têtes et dans nos cœurs. C’est ce moment de l’année où les enfants commencent à se sentir « chez eux » au service de garde, à l’école, dans leur groupe. La gêne s’estompe, la confiance s’installe… et avec elle, la vraie personnalité ressort. Tu sais, celle qui parle fort, qui boude pour un rien, qui crie « non ! » les deux pieds bien ancrés dans le plancher. Les petits durs à cuire ne le font pas contre toi. Ils testent le lien, tout simplement. Quand un enfant s’oppose, il te dit en secret : « Je me sens assez en sécurité pour te montrer mes tempêtes. » Et toi, en face, t’es là avec ton manteau encore mouillé, ta boîte à lunch vide, ton cœur plein… mais un peu usé.
Les enfants, eux, sentent tout. L’air humide, les adultes pressés, les routines qui s’étirent. Ils n’ont pas les mots, alors ça ressort autrement. Chez certains, c’est l’agitation. Chez d’autres, la fatigue, l’opposition, ou les mille « je veux pas » qui te font douter de ton métier (juste pour deux minutes, promis). Mais rappelle-toi : c’est le moment de l’année où la confiance s’ancre. Les enfants commencent à oser exprimer leurs émotions réelles, pas juste celles qui font plaisir. Alors oui, c’est plus bruyant. Oui, les transitions sont un peu chaotiques. Mais au fond, c’est une preuve que le lien fonctionne. Ce n’est pas le chaos qui dérange, c’est l’absence de sens. Et toi, tu en donnes, du sens juste en étant là, stable, humaine, bienveillante.
Dans les équipes éducatives aussi, novembre laisse des traces. Les rires d’octobre se sont un peu calmés, les réunions s’enchaînent, et tout le monde compte les jours avant les congés sans oser le dire trop fort. On marche dans un rythme étrange : pas encore la frénésie du temps des fêtes, pas tout à fait l’énergie de la rentrée. C’est là que la solidarité devient essentielle. Pas celle des grands discours, non. Celle du quotidien : un clin d’œil dans le corridor, une collègue qui t’apporte un muffin sans raison, un « veux-tu que je prenne ton groupe deux minutes ? » lancé comme une bouée. Petits gestes, grands effets. C’est ça, la vitamine humaine qui aide à traverser novembre.
On a beau aimer les métaphores, faut aussi des petits trucs concrets pour ne pas s’éteindre à son tour. Ralentir le rythme, même dix minutes à la fois. Prendre le temps de respirer entre deux activités. Mettre une musique douce, laisser le silence s’installer un peu. Les enfants apprennent aussi de ton calme. Redéfinir la réussite. Ce n’est pas la perfection d’une activité Pinterest, c’est le moment où un enfant rit, ose, ou te regarde avec confiance après une crise. Recréer la chaleur, pas juste celle du chauffage, mais celle du lien : une caresse dans le dos, un mot doux, un regard complice. Accepter le flou. Tout n’a pas besoin d’être réglé, prévu, organisé. Le brouillard, c’est aussi une invitation à lâcher prise. Se parler vrai entre collègues. Dire qu’on est fatiguée, découragée, qu’on n’a pas la tête aux bricolages de Noël ce n’est pas se plaindre. C’est se reconnaître humaines. Et ça, ça fait du bien.
Novembre, c’est un entre-deux. Un moment où la lumière décline mais où la promesse d’un feu de foyer nous attend. Un moment où les enfants réclament plus de limites, plus d’attention, plus de toi. Et où toi, tu as besoin d’un peu plus de douceur. C’est aussi le mois où les premières chansons de Noël sortent des haut-parleurs, trop tôt mais juste à temps pour nous rappeler qu’on aura bientôt une pause. La magie revient tranquillement, comme une chandelle qu’on rallume après une panne.
Le truc, c’est de ne pas résister au brouillard. Ne cherche pas à le chasser à tout prix. Apprends plutôt à t’y promener. Il y a dans cette grisaille un espace pour se recentrer. Pour observer sans courir. Pour se rappeler que même dans la fatigue, il y a de la beauté : celle d’une éducatrice qui essuie une larme d’enfant avec patience, d’un éducateur qui rit malgré tout, d’une équipe qui tient debout ensemble. Le brouillard, c’est aussi une pause imposée. Une manière douce de te dire : « Tu n’as pas besoin d’éclairer tout le monde à la fois. Tiens ta lampe, avance un pas à la fois. »
Et puis, il faut bien en rire aussi. Quand ton manteau est trempé avant même ton premier café, rappelle-toi que c’est juste la météo qui teste ta résilience. Quand un enfant refuse de mettre son manteau « parce qu’il n’a pas froid dans sa tête », souris. Tu tiens peut-être un futur philosophe. Quand tu entends « Madame, il m’a regardé ! » 48 fois en dix minutes, félicite-toi : tu viens d’animer un cours intensif d’expression émotionnelle. Et surtout, quand tu doutes, pense à ceci : tu n’as pas besoin d’être un phare 24 heures sur 24. Parfois, juste une petite veilleuse suffit.
Le mois de novembre finira toujours par céder la place à décembre. Et avec lui, les lumières, les chansons, les collations sucrées, les cœurs qui se réchauffent. Mais d’ici là, prends soin de ton feu intérieur. Ne cherche pas à briller plus fort, cherche à brûler plus longtemps. Autorise-toi à être fatiguée, à être humaine, à rire de rien. Parce que le brouillard finit toujours par se lever, et quand il le fera, les enfants te verront encore debout. Pas parfaite, pas toujours zen, mais vraie. Et c’est tout ce qu’il leur faut pour apprendre à traverser, eux aussi, leurs petits brouillards de novembre.
« Les enfants n’ont pas besoin d’un ciel sans nuages, mais d’un adulte qui reste debout sous la pluie. »
Sandra Mathieu
V.I.P De L'Éducation




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