Coupable d'une mauvaise intervention !
- VIP De L'Éducation
- il y a 12 minutes
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Éduquer ce n'est pas éviter l'erreur. C'est élever sa conscience à faire mieux.

As-tu déjà fermé les yeux le soir en revoyant une scène de ta journée, le cœur serré par cette petite voix qui murmure : « Mon intervention n'était pas à la hauteur… » ?
Il est 16 h 45, la journée tire à sa fin. La fatigue est partout, chez toi comme chez les enfants. Tu demandes de ranger les jeux. Un enfant proteste, traîne les pieds, rigole avec un camarade. Et là, tu perds patience : ta voix monte, ton ton devient sec. Le silence tombe, l’enfant baisse les yeux, ses épaules s’affaissent. Le nœud dans ton ventre se serre aussitôt : tu sais que tu viens de réagir à l’envers de ce que tu aurais voulu transmettre.
Et pourtant, ce scénario n’a rien d’exceptionnel. Il peut se jouer n’importe où : dans une classe, dans un service de garde, dans une cour d’école et, à la maison bien sûr. Et malgré sa banalité, il laisse une trace profonde. Pas parce que l’enfant ne pourra jamais s’en remettre, mais parce que toi, l’adulte, tu restes avec ce goût amer : « J’ai échoué à ce que je voulais offrir. »
Alors commence le vrai défi : comment continuer à prendre soin de ton bien-être quand tu portes en toi le poids d’une intervention maladroite ? Comment éviter que la culpabilité ne devienne un poison qui éteint ta joie, ta confiance et ton élan ? Et que dire du procès que tu te fais.
Il suffit parfois d’un instant. Un enfant qui refuse de ranger, et toi qui, déjà fatigué, laisses échapper un ton plus sec que tu ne l’aurais voulu : « Ça suffit, tu ranges maintenant ! » L’enfant boude, se braque, et tu sais déjà que tu as perdu plus que tu n’as gagné. Le soir, la scène rejoue dans ta tête comme une mauvaise cassette. Ou encore cet élève qui chahute en plein dîner. Tu aurais voulu l’approcher calmement, mais les rires du groupe t’ont fait perdre patience. Tu lui as dit d’un ton brusque : « Assis-toi et arrête ! » Tu aurais préféré l’emmener à part, mais c’était plus fort que toi. Et maintenant, tu rumines.
Ainsi se révèle le poids invisible de la culpabilité. Ce malaise est lourd, parce qu’il touche à ce que nous avons de plus précieux : notre identité professionnelle et humaine. Quand on choisit ce métier, ce n’est pas pour diriger, sanctionner ou blesser. C’est pour protéger, guider, accompagner. Alors quand une intervention nous semble trahir ces intentions, nous nous jugeons sans pitié.
Or, il faut se le dire : le bien-être ne peut pas grandir dans un terreau de culpabilité. Nous ne pouvons pas avancer si chaque erreur devient une condamnation. La mauvaise intervention existe, oui, mais elle ne doit pas définir qui nous sommes. Elle est une balise, un signal, un rappel. Elle ne vient pas dire : « Tu es un mauvais éducateur », mais plutôt : « Voilà une direction à ajuster. »
Et déjà, ce regard change tout. Car le premier réflexe est souvent de s’accuser, de rejouer la scène, de se dire : « Pourquoi j’ai fait ça ? » À force de se comparer à l’éducateur idéal qu’on voudrait incarner, on se diminue, on s’éteint. Et si l’on se laisse piéger par la honte, on ne voit plus qu’elle. On ne se rend pas compte que la culpabilité, même si elle part d’un désir d’être meilleur, devient vite une entrave à notre bien-être.
Mais la voie existe : accueillir, réparer, réfléchir et se projeter. Accueillir d’abord, en posant les mots sans se juger : « Oui, j’ai levé la voix. Oui, j’aurais aimé réagir autrement. » Rien que ça. Sans prétexte, sans masque. Puis réparer, quand c’est possible, par un simple mot à l’enfant : « Tu sais, j’aurais voulu faire autrement. » Loin de nous diminuer, ce geste nous élève. Il restaure le lien et offre à l’enfant une leçon silencieuse : un adulte aussi peut se tromper, s’excuser et se relever.
Et vient ensuite le temps de réfléchir. Pas pour ruminer, mais pour comprendre. Était ce la fatigue ? Le bruit ? L’impression d’avoir perdu le contrôle ? L’objectif n’est pas de s’accabler, mais de nommer les déclencheurs. Car c’est en les repérant qu’on pourra, peu à peu, agir autrement. Enfin, se projeter. Remplacer le « j’aurais dû » par un « la prochaine fois, je pourrai ». Cette nuance est immense. Elle libère, elle ouvre une porte, elle trace un chemin au lieu d’ériger un mur.
Et si l’on transpose tout cela dans l’esprit S.A.G.E., on comprend vite que cette démarche nourrit autant l’adulte que l’enfant. Car offrir de la sécurité affective, c’est se donner soi-même le droit à l’imperfection. Pratiquer une autorité bienveillante, c’est se rappeler que fermeté n’est pas dureté. Choisir une guidance respectueuse, c’est transformer la réparation en outil éducatif, et non en défaite. Et cultiver son épanouissement authentique, c’est recréer des rituels de joie et de gratitude qui ré-alimentent notre force intérieure.
Alors oui, il y aura d’autres moments où tu perdras patience, où ton ton dépassera ta pensée, où ton geste manquera de douceur. Cela arrivera. Mais ce n’est pas là que se mesure ta valeur. Elle se mesure à ta capacité de te relever et à celle de vouloir t'améliorer. Parce que les enfants n’ont pas besoin d’adultes parfaits, mais d’adultes vrais. De modèles qui savent reconnaître leurs failles, réparer quand c’est possible et marcher à nouveau. Surtout, rappelle toi qu'un adulte peut aussi s'excuser.
De ce fait, il est important d’être à l’écoute de ces moments. Une erreur occasionnelle peut devenir une belle leçon de vie, mais si ces interventions maladroites se répètent trop souvent, c’est peut-être un signe qu’il faut s’arrêter, réfléchir et se demander : suis-je encore bien dans ce rôle ? Ai-je besoin de soutien, de repos, d’un espace pour me rééquilibrer ? Car persister dans l’usure ou la colère n’aide ni l’adulte ni l’enfant. L’éducation demande une énergie particulière : elle se nourrit de patience, d’empathie et d’une envie sincère d’accompagner. Quand ces ressources s’épuisent, il faut avoir le courage de le reconnaître, pour soi comme pour les enfants.
Ainsi, la prochaine fois que tu sentiras ce pincement au cœur après une intervention maladroite, souviens-toi : ce n’est pas la fin de ton chemin, c’est un virage. Respire. Répare. Réfléchis. Et avance. Parce que ton bien-être, et celui des enfants que tu accompagnes, grandissent ensemble dans ce mouvement.
Et tu sais, quand j’enseigne aux personnel éducateur, je répète tellement souvent ce conseil que mes élèves en ont presque mal aux oreilles : prends quelques minutes, à la fin de ta journée, pour faire ton feedback. Rien de compliqué, pas un roman, juste un petit retour rapide : qu’est-ce qui a bien fonctionné aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a moins bien marché ? C’est dans ce court moment que tu peux mettre de l’ordre, reconnaître tes bons coups, accueillir tes moins bons et… déposer tout ça. Parce qu’ensuite, il faut tourner la page, s’ouvrir à demain et se donner la chance d’une journée meilleure.
La vraie question n’est pas : « Ai-je toujours bien fait ? » mais plutôt : « Suis-je capable de rester bien avec moi-même, même quand je trébuche ? » Et si, la prochaine fois que tu fermes les yeux le soir, tu te rappelais ceci : tu n’es pas défini par une intervention maladroite, mais par la façon dont tu choisis de la transformer. Parce que ton bien-être est ton plus grand pouvoir. Et parce que le monde, et surtout les enfants qui t’entourent, ont besoin de ton humanité, pas de ta perfection.
« Ce que tu répares avec le cœur a plus de valeur que ce que tu as brisé par erreur. »
Sandra Mathieu
VIP de L'Éducation
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